
Chaque vendredi c’est la même chose: je regarde les heures passer en me demandant de quoi je vais bien pouvoir parler dans mon édito. Lorsque je cale vraiment, je ressors ma technique durement travaillée quand j’étais gamin, je me fais tout petit en espérant que personne ne me voit et je m’enfuis jusqu’au lundi, en couvrant mes yeux avec mes mains pour être invisible. Mais ça utilise pas mal de chakra et c’est pas très fiable comme subterfuge, donc en général je mets mon casque, je choisis un son que j’écoute en boucle et je cherche un thème. Dans tous les sens. Je guette le moindre bout de fil qui dépasse et je tire dessus, en espérant qu’il me permette de broder un peu. Parfois il casse, parfois il se déroule, impossible de prévoir à l’avance car on ne sait jamais ce que l’on va trouver lorsqu’on regarde à l’intérieur de soi chaque semaine. Et lorsque ce que je vois ne me plait pas, je referme vite derrière en moi en espérant qu’une idée ou un souvenir indésirable n’a pas mis son pied en travers pour coincer la porte. Faudra que je demande à Mr Cobb quelques conseils là dessus d’ailleurs.
Il y a des soirs où c’est presque une punition pour moi, j’angoisse, si je rentre sans avoir écrit un édito mes potes vont me crier dessus, Twitter va se liguer pour m’anéantir et les mails de mécontentement vont s’abattre sur moi en 3D. Alors je cherche encore, et tout ce qui me vient à l’esprit, ce sont toujours les détails. Ma mémoire fonctionne un peu comme un blog: je passe en revue les miniatures, je clique sur « Lire la suite » et tout se déverse dans ma tête. Tout se mélange aussi, un peu comme le Danao artisanal de ma grand mère, qui versait du lait et du jus d’orange dans le même verre et secouait fort, « Qu’est ce qui ya? C’est exactement pareil, bois ». Des souvenirs remplacés par des détails. L’énorme peinture à la main du Silver Surfer (Norin Rad pour les vrais) sur le mur de la chambre de mon oncle, sa minuscule machine à sous qui fonctionnait sans pièces, les escaliers défoncés qui m’arrivaient au genou, les boules de riz blanc grillé que mon grand père formait à la main et qu’on appelait des souris, le meilleur plat du monde. Ca fait longtemps que j’ai pas mangé de souris, ça me manque.
Il y avait aussi les 2h de route pour aller chez mon parrain. Quand t’es jeune, 2h de route c’est le bout du monde, tu prévois toujours des dizaines de livres même si tu sais que tu vas vomir à la deuxième page, et tu ne montes pas à l’arrière sans un sachet de provisions, il en va du bon déroulement de ton expédition. Evidemment, je faisais partie de ceux qui avaient fouetté la moitié des vivres avant le premier péage, question de survie en milieu hostile. En creusant un peu, je reverrai aussi le mini panier de basket (hauteur 1m97, ballon Bulls et Lakers et alley hoop systématique), mais aussi le bol de soupe obligatoire avant la portion de pizza, le gant Cosmocats de mon cousin dont je doute encore de l’existence tellement j’étais jaloux de ne pas pouvoir me déguiser en Starlion moi aussi, le mercredi matin à l’agence, les languettes de baskets découpées comme des trophées, les VHS Dragon Ball, les katanas en bois plein d’échardes, les trous dans les murs bouchés avec du papier et les peluches usées au fond du tiroir. Encore et toujours les détails. On ne sait jamais sur quoi on va tomber lorsqu’on tire un fil mais après tout, chaque détail prend de la valeur quand plus rien n’a de sens.
Read Full Post »