J’ai toujours eu un rapport conflictuel avec les deux roues. Le seul souvenir à vélo que j’ai, c’est la fois où je me suis brisé la nuque en faisant un salto avec mon Shimano 6 vitesses jaune et vert fluo. A l’époque on risquait notre vie chaque mercredi après midi en descendant celle que l’on appelait « La pente de la mort ». Rien que ça. Plus de 500 mètres de goudron oblique, qui s’achevaient avec un dos d’âne et un virage où il aura fallu attendre 20 accidents avant qu’ils placent un miroir permettant de voir qui arrivait en face. Parfois avec le vent dans le dos et en pédalant à fond, on atteignait les 42km/h, le compteur à piles accroché au guidon faisant foi. Ce jour là je n’étais pas particulièrement rapide, pour ne pas dire super lent. Le vent ne m’arrachait pas de larme, je n’avais pas l’impression d’être à bord du Millenium Falcon, et pourtant j’ai eu un réflexe débile, celui qui n’arrive qu’une fois dans ta vie parce que tu retiens immédiatement la leçon: j’ai freiné avec le frein avant uniquement. Le temps que je réalise, mon corps avait fait un tour et demi en l’air, comme un bonhomme de babyfoot, et je me suis planté dans le sol la tête la première, en imitant Dhalsim qui rate son coup. En tout cas moi, j’ai pas raté mon cou, qui a fait un drôle de bruit au contact du bitume, bruit que j’ai vite oublié lorsqu’une bosse énorme a poussé sur ma tête comme un pop up.
Comme le vélo n’était pas assez dangereux, je suis vite passé aux véhicules à moteur. Totalement traumatisé par Jean Michel Bayle, Tonnerre Mécanique et Edward Furlong dans Terminator 2, j’ai réussi à convaincre un pote de me vendre sa PW50 pour une bouchée de pain sans sel, d’autant plus qu’elle était dans un piteux état. Quand il est venu la ramener chez moi, j’étais encore en train de convaincre mes parents que ce n’était pas dangereux, même si la seule moto que j’avais jamais piloté était électrique (8h de recharge pour 2min30 de folie à 4km/h, pour ceux qui ont connu ça). J’ai enfourché la bête, frappé le kick d’un coup sec et fait hurler le moteur avant de passer la première. Une accélération sèche, et je suis parti tout de suite dans le mur. Même pas 5 secondes de pilotage et déjà un accident devant témoins. Je me suis relevé, et j’ai tenté un « c’était fait exprès » sans trop y croire. Va savoir comment j’ai fait mais j’ai quand même gardé le bolide, qui m’a suivi sur des pistes de champions où le moteur était tellement peu puissant que je n’arrivais pas à franchir les virages en hauteur. La Yamaha donnait tout ce qu’elle avait dans les cylindres mais chutait invariablement en arrière, me forçant à me laisser glisser sur la terre, totalement résigné, le visage couvert de poussière et les genoux troués par les cailloux. Parce que oui, je faisais du motocross en short, jusqu’à ce que je monte sur la GSXR 1100 de mon grand cousin et que mon tibia reste collé au pot d’échappement brûlant. Ce jour là, j’ai trouvé complètement débile le combat des femmes qui refusaient de porter le pantalon.
Puis est venu l’âge béni où tu te crois homme mais t’es qu’un con, et ya qu’à toi qu’on l’a pas dit. Booster, Bugsy, Dax ou Chappy, la liberté au bout du guidon pour ceux qui avaient réussi à démontrer à leurs parents le caractère impératif d’un scooter pour aller en cours. Pour les autres, il fallait faire la queue et attendre qu’on te laisse conduire 5 minutes, chacun son tour comme à Carrefour. Sauf la fois où on a décidé d’établir un record façon Cirque du Soleil, 5 en même temps sur un Booster, dont un accroché à l’envers sur le cache avant, la roue dangereusement proche de ses attributs virils et le dos cramé après qu’on ait freiné trop fort. Rouler en scooter c’était bien, mais rouler en scooter et faire des roues arrières, c’était carrément mieux. Alors on partait s’entraîner dans un coin pendant des heures, en essayant de dompter les lois de la gravité. Puis l’un d’entre nous à découvert une technique peu courante mais qui semblait efficace: il se tenait debout derrière le scooter lorsque celui-ci se levait, et laissait trainer ses pieds pour garder un point d’équilibre. Bonus: en cas de perte de contrôle, les risques de chutes étaient moindres vu la position. On pensait avoir trouvé le moyen d’être les nouveaux héros des filles qui attendaient le bus devant le portail du collège, jusqu’à ce que le créateur de ce geste atypique se fracasse violemment et soit traîné par son engin sur presque 20 mètres, après que son pied ait percuté une pierre et que sa main soit restée accrochée à la poignée des gaz. Carrosserie au moins aussi abimée que son égo, il s’est relevé sous les cris de moquerie d’une équipe de roumains qui n’ont même pas cherché à voler son scooter, c’est dire à quel point mon pote inspirait de la pitié. Il a mis des semaines à ressortir son Bugsy en public, les plaies psychologiques cicatrisant moins vite que les blessures physiques. Alors quand on m’a dit que j’avais désormais un vrai salaire qui me permettait d’acheter un 125, et qu’un deux roues c’était beaucoup plus pratique pour venir au bureau, je me suis souvenu des épreuves auxquelles j’ai survécu, et j’ai rechargé mon pass Navigo sans hésiter.
Merci, Merci
Je viens de passer un moment sublime.
J’ai ris aux larmes et je peux écrire la même chose (le talent en moins) sur mon parcours avec tout un tas d’objets motorisés ou pas…
J’ai vraiment bien ris, et me suis reconnue dans ces moments solitudes.
« Puis est venu l’âge béni où tu te crois homme mais t’es qu’un con, et y a qu’à toi qu’on l’a pas dit. »
Belle référence, bien placée, voila ce qu’on écoutait ces années.
Plus je te lis et plus je me dis que t’as vécue des moments fous dans ta vie..
Allez, racontes-nous encore une de tes histoires!
J’adore ta conclusion kamikaze lol
« quand on m’a dit que j’avais désormais un vrai salaire qui me permettait d’acheter un 125, et qu’un deux roues c’était beaucoup plus pratique pour venir au bureau, je me suis souvenu des épreuves auxquelles j’ai survécu, et j’ai rechargé mon pass Navigo sans hésiter » 🙂
Peut -on ajouter à la conclusion que rouler motos c’est plus dangereux qu’être en voiture ? Ton histoire me fait penser que mes parents avaient raison de me dire de ne jamais monter sur un scooter lol
Et si ton enfant plus tard veut rouler en scooter qu’est ce que tu lui diras? Tu lui raconteras ton histoire ou tu te diras que c’était marrant quand même et tu le laisseras faire sa propre expérience « de blessures » ?
hahaha le salto avant j’ai connu ça, au terrain de cross de la chapelle 🙂
+1 pour le soleil a cause du frein avant.