Mon Blackberry a une fâcheuse tendance à effacer mes brouillons et mes notes. Lorsque j’ai une idée, je la répète en boucle dans ma tête jusqu’à ce que je puisse la noter sur mon téléphone, parce que je sais que je l’aurai oubliée d’ici 10 minutes. Parce que ce n’est pas facile de capturer un papillon avec un filet, surtout lorsqu’il est troué. Mes boîtes mail et SMS sont donc remplies de messages inachevés et confus, qui disparaissent lorsqu’on les met de côté trop longtemps. Jolie métaphore de la vie je trouve.
En bas de chez moi il y a un mendiant. Un visage à poser pour JR, des rides profondes, un regard d’homme autrefois déterminé qui s’est terni avec le temps et la lassitude. Chaque matin, on se salue discrètement, un geste de la tête et un « bonjour » perdu dans sa barbe imposante. Je ne lui ai jamais donné d’argent parce que je me dis qu’il ne comprendrait pas pourquoi il en reçoit aujourd’hui et pas hier, ni demain, et moi non plus d’ailleurs. J’ai lu quelque part qu’un SDF recherche avant tout un contact humain, un lien social, alors je ne rate jamais notre rendez vous quotidien, même s’il n’a peut être pas besoin de ça pour savoir qu’il existe. Hier matin, je me suis rendu compte que cela faisait 3 semaines qu’il n’était plus là. Je n’ai pas eu à m’écarter pour laisser passer la vieille dame avec son journal, et d’un coup j’ai réalisé qu’il n’y avait plus cette silhouette voutée, en boule dans sa doudoune déchirée. Ce matin en repassant, surprise. Il était revenu. Les cheveux teints, la barbe bien taillée, la peau nourrie et éclatante. On a retrouvé notre habitude matinale puis il s’est levé, et s’est dirigé vers l’arrêt de bus en sortant une cigarette et un Blackberry de sa poche. Je suis resté au milieu du trottoir, sans savoir ce que je devais penser ou ressentir, sans parvenir à mettre de mots sur cette dérangeante sensation de m’être fait violer. Et je me suis demandé qui de nous deux avait besoin de savoir qu’il existe dans les yeux de l’autre, au final.
Certains soirs quand je rentre un peu plus tard que d’habitude, je croise ce fou qui tente de plier la courbe du temps. Une calculatrice dans la main droite et une montre cassée dans la main gauche, il effectue tout un tas d’opérations improbables. Il multiplie les heures par les minutes sans réelle cohérence, divise ensuite par un nombre à 4 chiffres, réfléchit, puis ajoute l’heure imaginaire qu’il vient d’apercevoir sur le cadran fissuré. L’écran de la calculette est noirci de chiffres qui n’ont de sens que pour lui, et je le regarde effectuer son rituel, chaque geste l’apaisant pour les 3 prochaines secondes. Parfois, j’essaie d’extraire la logique de ses calculs, d’autres fois j’essaie d’entrevoir quel impact ont les résultats sur sa quête frénétique de nombres. Un peu comme lorsqu’on se demande de quoi rêvent les nouveaux nés. Peut être que nous sommes tous prisonniers de nous même dans le fond, et qu’on apprend simplement à vivre et survivre au milieu de ses angoisses. Après tout, même une montre cassée donne l’heure exacte deux fois par jour.
Jolie conclusion, même dans les Soprano ils n’auraient pas fait mieux … 😉
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Très joli. Bravo !
Oncle Junior !
« meme une montre cassée donne l’heure juste, 2 fois par jour »
T’a aussi vu le film « La Faille » apparamment 😉 cette phrase m’avait aussi marquée!
TTrès bon texte.
Beau message,
Merci
Jm