La rame s’agite, la sonnerie hurle, les portes s’ouvrent. Pardon, excusez moi, bouge de là connard de touriste, t’as failli me crever l’oeil avec ta carte, j’ai dit pardon!, et toi aussi avance au fond au lieu de rester au milieu avec ton sac à dos énorme, putain de weekend prolongé, restez chez vous les gens sérieux. Pardon, excu… Wow. Euh. Pardon mademoiselle, je vais juste me glisser contre la vitre en fait. Oui, là. Merci. Tourne la tête de l’autre côté, fais style, reste imperturbable. Regarde ton téléphone, ça te laissera quelques secondes pour réfléchir et retrouver tes esprits. Ouvrir menu, fermer menu, ouvrir, fermer. Regarde le plan de ligne l’air de rien, faut descendre dans 5 stations c’est ça?
Petit regard en coin pour vérifier, j’ai un doute. Bon, aucun doute en fait, elle est vraiment magnifique. Et à en croire tous les crevards de la rame qui la fixent comme si elle avait une robe en billets de 500 euros, je suis pas seul à la trouver impressionnante. Toute façon, elle doit se faire aborder toute la journée, je suis sûr qu’elle se la raconte grave, avec son BlackBerry et ses écouteurs. Genre « Je-suis-dans-ma-bulle-vient-pas-me-parler-je-vais-te-mettre-un-gros-vent ». Ma main à couper qu’elle est sur BBM avec un gars qui la chauffe après lui avoir demandé son PIN en soirée le weekend dernier. Ou avec sa meilleure copine, en train de lui raconter que les mecs sont à fond sur elle dans le métro, comme d’hab, elle sait pas pourquoi elle plaît autant, ça la saoule. Pfff. Quatre stations.
Elle écoute quoi d’ailleurs? De la merde forcément, les jolies filles n’ont pas de goût, ni de cerveau, c’est un fait bien connu des frustrés et des timides qui cherchent à se rassurer à tout prix. C’est quoi ce grésillement qui bave hors de son casque? On dirait l’instru de… Merde. Ca va être plus compliqué que prévu de rester serein finalement. Et de rester calme aussi, parce qu’en parlant de musique, le roumain qui vient de monter commence à me rendre ouf avec son accordéon et ses morceaux d’Edith Piaf, pourquoi il a fallu qu’il débarque dans ma rame? Foutue légende urbaine cette histoire d’artistes extraordinaires découverts dans le métro qui deviennent disque d’or après, j’ai jamais entendu un mec qui tienne la route musicalement sous terre. Allez, encore trois stations.
A quoi est ce qu’elle peut bien penser? Elle laisse ses yeux dans le vide, ne fait attention à rien, pas même à l’antillais qui brûle le micro de son portable avec le dernier Admiral T et Médine, pas même à la vieille qui râle parce qu’elle est bousculée ni au mec en costume qui s’est cru dans son salon avec son journal déplié entièrement. Son corps est ici mais son esprit est loin, ça sent la rupture récente, encore une fille à problèmes ça. Ou alors elle est juste fatiguée du taf, comme moi. Qu’est ce qu’elle fait dans la vie? Habillée à la cool, sobre mais ça lui va bien. Elle travaille pas dans une banque. Ni dans un salon de coiffure, pas assez de maquillage et de chevelure fluo pour ça. Jolie montre. Un sac à main mais pas de sacoche pour ordinateur, un style de parisienne… Pas assez une tête d’alcoolique pour être dans la com’, pas assez ringarde pour être prof, elle prend le métro trop tard pour rester assise derrière un guichet administratif. Journaliste? Ca serait cool journaliste. Bon, on s’embrouillerait parce qu’elle a un avis sur tout, mais au moins on pourrait parler entre les moments où je m’occuperais de son petit corps tendu comme l’arc de Robin de Locksley. C’est fou, je suis là à me faire des films et elle sait même pas que j’existe. Plus que deux stations, si tu veux lui parler, c’est maintenant ou jamais.
Si ça se trouve, pendant que je l’observe, une autre fille dans le wagon est en train de faire la même chose avec moi, de s’imaginer qui je suis, où je travaille, qu’est ce que j’aime dans la vie. Et un gars fait pareil sur elle, et ainsi de suite. Une mise en abîme, chacun désirant une personne qui en désire une autre, un circuit infini jusqu’au moment où tu te rends compte que celle que tu veux te veut toi. Ah! Cette blague. Faut que j’arrête de lire les comics de Moore, à force je réfléchis sur des plans temporels et dimensionnels un peu cons, et je me prends la tête avec des idées stupides. Hein? Pourquoi elle me sourit? Merdemerdemerde, avec ces conneries de relai émotionnel et de suivre du regard celui qui te fuit, je me suis pas rendu compte que je la fixais en souriant bêtement. La honte totale, je vais passer pour le crevard du soir, celui qui aborde sans gêne style « Hey, je suis comme une calculatrice graphique, quand je vois tes courbes je veux connaître tes coordonnées ». Le boulet quoi. Heureusement que je descends à la prochaine, ma riche vie intérieure m’a encore mis dans une situation nulle.
Hey, mais elle vient de se toucher les cheveux en baissant la tête, avec un petit sourire discret, j’ai pas rêvé? C’est un signe ça, c’est bien connu: si une fille se passe la main dans le cheveux en te regardant, c’est que tu lui plais. Et maintenant, elle regarde son portable, puis le plan, et un coup d’oeil en coin dans ma direction. Wow. Elle a l’air d’avoir envie que je vienne lui parler. Noooon, impossible. J’ai une tête de zombie Capcom, j’ai pas décroché une expression humaine en dehors de mon visage de Corky quand j’étais perdu dans mes pensées, elle peut pas m’avoir remarqué. On est tous serrés, énervés que notre espace vital soit violé et pressés de rentrer à la maison, elle a pas pu faire attention à moi. Les belles histoires comme ça ça m’arrive pas à moi, personne s’est collé contre mon torse dans le bus en me disant que je lui plais alors que je sens la friture. Ca arrive qu’aux autres ce genre de trucs qu’on raconte à ses potes jaloux. En plus je suis arrivé, ça pousse derrière moi pour me forcer à descendre, calmez vous je descends aussi, ça va partir en couilles si vous continuez sérieux. J’essaie de me retourner mais impossible sans casser le nez du petit à ma droite et dans le reflet, je la vois. Déçue, tout d’un coup relâchée, qui me scrute pendant que je me fraye un chemin. Je suis sur le quai, nos regards se croisent, son sourire me transperce une dernière fois, on ne se verra plus jamais. Je suis le dernier des crétins, pourquoi je suis pas allé lui parler? Si ça se trouve on serait déjà dans un café en train de se raconter nos vies en ayant l’impression qu’on se connaît depuis toujours. Quel connard. En plus jsuis descendu à la mauvaise station, foutue soirée, heureusement que le métro suivant arrive. La rame s’agite, la sonnerie hurle, les portes s’ouvrent. Pardon, excu… Wow. Euh. Pardon mademoiselle, je vais juste…
Nice
enn Je suis deg pour toi là.
Rien à dire mise à part que c’est un superbe édito !
Haha joli édito, quel plaisir d’imaginer la vie des gens durant un trajet en transport en commun.
excellent!!!
Ahah bien, bien.
Bel edito,il rentre facilement dans le top 10 -)
J’ai verse une larme .. A hollywood, il t’aurai mis la fille sur le quai au prochain arrêt et une happy end …
Tenue en haleine jusqu’à la fin, good job. Et ouais, journaliste c’est un job cool!
Yellow Kid, t’es vraiment fort ! Continue à nous faire rêver ! Et bonne chance pour la prochaine. 🙂
GENIALE 😀
J’ai bien ris : “Hey, je suis comme une calculatrice graphique, quand je vois tes courbes je veux connaître tes coordonnées”
Continue comme ça!
Franchement bien! Et j’ai même pas vomit 😉
Pourquoi dans le métro je ne croise que le pakat qui me fait un clin d’oeil car il croit que je le suis aussi, la mama qui touche ma main car sa putain de main glisse toujours sur la barre, les deux rebeus sapés en TN, delavaine, tout en « aine » qui écoutent sexion d’assaut pensant que tout le monde kiff, la maman noich qui ne dit pas a sa fille qui court partout qu’elle est juste relou ?… ah … les joies de la ligne 7
c’est bien ecrit et decrit, ca me fait penser a un episode des lascars!
Il est pas fini le concours de la Saint-Valentin ?
J’dois te rendre les ecouteurs… ?
Bogosse sinon. Zombie Capcom, c’a ma fait marré, puis j’ai eu honte detre geek.
Cette fille, c’est moi ..
« ma riche vie intérieure m’a encore mis dans une situation nulle. ». Je sais pas pourquoi mais j’aime bien cette phrase.
[…] Ce post du Yellow Kid a sonné particulièrement à mes oreilles. […]
« Hey, je suis comme une calculatrice graphique, quand je vois tes courbes je veux connaître tes coordonnées »
The quote of the Century. A star is born.
Bon, si cette histoire se solde par une histoire d’amour, il va falloir nous le dire !
C’est fou comme cette histoire semble être commune à tout ceux qui prennent les transports en commun!! On l’a tous vécu au moins une fois je suis sûr…
Des barres l’histoire, en plus mention speciale pour la lecture sur black b car on est tenu en haleine jusqu a la fin a cause de la taille de l’ecran, yellow mon pote, c’est mieux que les programmes du lundi soir !!! Mdr
LOOOOVEE IT!!!!!!!!!!!!!
Dis-le qu’en fait t’étais tombé amoureux de swaggman
Moi c’est généralement la même sauf que la fille m’ignore vraiment… oh well…
[…] En ce qui me concerne, 2010 a été chargée. Il y a eu la rentrée des classes (The September Issues), j’ai fait des promesses que je vais devoir tenir en 2011 (Coming Soon), et j’ai trouvé un début d’explication à certaines de mes réactions, parfois irrationnelles (Je crois que je suis autiste). Ah oui, et la seule fois où j’ai pris le bus, il y a eu une embrouille invraisemblable (Le jour où j’ai fini au poste à cause d’un siège de bus). Alors même si parfois j’y risque ma vie (Le jour où j’ai pris le métro à côté d’un colis suspect), en 2011, je vais m’en tenir au métro. Et puis en plus on sait jamais, peut être que j’y rencontrerai la femme de ma vie un de ces jours (L’édito de la fin de la semaine). […]
Je suis fan de toi, tu me fais rêver avec tes éditos.