La fois où j’ai pris le métro avec Swagg Man

La journée avait mal commencé pourtant: impossible d’avoir une release date pour les Jordans XI Silver Collection, sorties samedi aux Etats-Unis mais toujours pas disponibles chez nous. Après avoir harcelé en vain les vendeurs de Citadium et la frustration aidant, je décide d’aller sur les Champs pour baver devant des objectifs hors de prix. Ligne 13, changement pour rattraper la ligne 1, rien de génial pendant les 15 prochaines minutes quoi, surtout que j’ai oublié mon Archos à la maison. Sauf qu’en rentrant dans le wagon après avoir envoyé en l’air du touriste allemand à St Lazare, mon oeil de lynx est tout de suite attiré par une masse discrètement clinquante, tapie contre un strapontin. Feignant de chercher une place assise, je jette un regard furtif pour étancher ma curiosité toujours mal placée et là, sursaut: c’est le grand Swagg Man qui me fait face, dissimulé derrière son iguane en argent.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Swagg Man est la nouvelle idole malgré lui des enfoirés qui aiment descendre les gens à coup de tweets assassins et de post empoisonnés, et dont je fais évidemment (et fièrement) partie. J’ai d’abord eu un doute, pensant avoir devant moi une pâle imitation de notre Swagg préféré. Parce que j’avais beau regarder, à part des bijoux plus gros que des antivols de Booster et des tatouages jusqu’aux yeux, aucun vêtement hors de prix sur lui: un jeans tout droit sorti de l’armoire d’un fan du LOSC à peine adolescent, un sac à dos Converse trouvable pour 3,75 euros à Clicli, des Air Force usées par les matches de foot du samedi après midi, des lacets jaunes qui donnent des crises d’épilepsie, une casquette Ed Hardy plus aplatie qu’un lapin sur l’autoroute et le fameux hoodie Superman tout délavé. Alors pour être sûr de bien vivre un instant culte, j’ai tout de suite cherché le détail qui ne trompe pas, celui qui rassure comme un doudou en peluche un soir de pipi au lit: les tattoos bisous dans le cou. Et croyez le ou non, mais ils sont encore plus voyants en vrai et brûlent les yeux comme du pollen maléfique.

En parlant d’oeil, j’ai trouvé mignon que son arcade sourcilière soit dédiée à sa mère, avec un « Mum’s » (qu’on peut traduire par « le fils à sa maman ») écrit à l’encre indélébile sur sa chair d’adolescent. Parce que ne vous méprenez pas: Swagg Man n’a pas plus de 18 ans, j’en mettrais ma main à couper au feu (c’est dire). Taillé dans une brindille sèche, fier de sa barbiche durement entretenue pour donner un aspect touffu, et autant de tenue qu’un T-Shirt mouillé sur une corde à linge, l’Homme Swag est encore un enfant. C’est d’ailleurs ce qui m’a retenu de le dépouiller, vu que contrairement à la légende, il ne se trimballe pas avec un garde du corps (bien qu’il devrait pour préserver son intégrité physique si ses bijoux coûtent vraiment plusieurs dizaines de milliers d’euros). Ca, et le fait que j’aurais quand même eu du mal à revendre un bracelet horrible et un iguane en zyrconium.

En fait ce qui m’a le plus frappé, c’est la timidité qui l’enveloppe, bizarrement. Je l’ai observé attentivement et tout ce que j’ai vu, c’est un gamin dont les parents ont suffisamment d’argent et de culpabilité pour le laisser pousser son délire jusqu’au bout pour attirer l’attention coûte que coûte. Quitte à se taire lorsqu’une gamine de 16 piges avec plus de peircings que lui sur la gueule se moque ouvertement de son style (le monde à l’envers). La tête baissée tout le long du trajet, pas l’ombre d’un début d’arrogance déplacée, je crois même que la petite vieille montée à Georges V a plus eu peur de moi que du Swagg (et lui aussi peut être, maintenant que j’y pense, vu mon regard insitant). Je m’attendais à être surplombé par son charisme et éclaboussé par sa richesse matérielle et son Pikachu diamanté, je pensais avoir envie de lui mettre des tartes à cause son attitude désinvolte, mais que nenni: enlevez lui ses tatouages et vous pouvez remplacer « Swagg » par « Hollow » dans son surnom, car il devient aussi invisible que Kevin Bacon. Un peu comme les rappeurs qui n’ont pas vraiment réussi, Swagg Man sort ses plus beaux accessoires et ses habits de lumière lorsqu’il se filme sur YouTube, mais porte les mêmes vêtements ordinaires chaque jour. Alors oui, il a un iPhone sur lequel il écoute la mixtape de Young Money, un BlackBerry avec une coque dorée et une housse Vuitton, un casque Beats Solo blanc (et pas un Studio, trop cher peut être), et alors? Qui ne connaît pas un ouf qui préfère ne pas manger pendant 3 semaines pour avoir quelques signes extérieurs de nerdisme et de branchitude?

Au final, Swagg Man est exactement celui que j’imaginais: un gamin qui compense son manque affectif en étalant l’argent qui n’est pas le sien, comme toutes ces âmes perdues qui veulent à tout prix qu’on les remarque. Je pensais qu’il descendrait à Neuilly mais non, il est sorti à Porte Maillot et si j’en crois la direction qu’il a pris, il doit surement habiter près d’une station du RER C. J’ai presque eu de la compassion pour lui, presque eu l’envie de le défendre quand Twitter m’a dit de le gifler gratuitement, parce qu’il ne fait de mal à personne d’autre que lui en fin de compte. Et nous, en bons vautours qui flairent la proie affaiblie, ça nous fait bien rire. Et c’est là l’essentiel, non?

Si vous ne connaissez pas Swagg Man et que vous ne mesurez pas la chance infinie que j’ai eu de le rencontrer dans le métro, voici son skyblog officiel, et quelques uns de ses grands moments en vidéo (plus de 100 000 vues mine de rien):

Sur le plateau de « La Nuit nous Appartient » avec Mustapha El Atrassi

En freestyle mémorable avec ses pseudos potes, à qui il doit donner beaucoup d’argent parce que c’est du dossier très lourd à assumer pour eux, quand même