Leave the Rock alone

J’avoue, j’ai toujours eu un peu de mal avec l’originalité exacerbée. Du moins lors des premières écoutes. Quand j’étais plus jeune, le rap devait être du rap, le R&B du R&B, idem pour le rock ou l’eurodance (vous avez été jeunes aussi, arrêtez de faire style), et lorsqu’un artiste tentait un mélange un poil décalé, je criais au scandale, au titre inécoutable, à la merde sonore. Puis en grandissant, j’ai appris à apprécier d’autres styles, pour ne pas tourner en rond, comprendre où chacun puise ses inspirations et étayer mon répertoire musical. Bon rassurez vous, je ne vais pas vous sortir les phrases pourries et toutes faites, le métissage des genres, tout ça. On s’en fout en fait, tout ce que je veux dire à travers tout ça, c’est que les rappeurs devraient arrêter de vouloir se mettre au rock.

Et forcément, lorsque je dis ça, vous pensez comme moi à Disiz / Peter Punk, ou à Lil Wayne. Et vous avez pas tort. Parce que leurs projets respectifs « Dans le Ventre du Crocodile » et « Rebirth » peuvent nous donner des arguments en open bar, il suffit d’ouvrir le robinet. Je m’explique. Disiz et Weezy ont tous les deux décidé de mettre un terme à leur carrière de rappeur pour se lancer dans le rock, interviews multiples à l’appui, histoire de réinventer leur personnage. Sauf que malheureusement, pour l’un comme pour l’autre, tout se finit comme Homer Simpson, le bide est l’issue inévitable. Et c’est dommage parce que dans l’absolu, ils avaient toutes les cartes en main pour réussir leur pari.

Weezy, auto-proclamé extraterrestre et MC adepte du mode de vie des rockeurs depuis qu’il a compris qu’il fallait apostropher son public, a poussé son style rapologique dans ses derniers retranchements, innové et étiré le genre dans tous les sens, jusqu’à obtenir des mélanges improbables mais maîtrisés. Disiz lui, après une parenthèse réussie avec le projet Rouge à Lèvres, s’est senti trop à l’étroit dans le rôle du rappeur de service, et a décidé de se laisser pousser les cheveux et la moustache, pour être raccord avec les guitares électriques. Sauf que malgré leurs annonces fracassantes, aucun des deux n’a eu le cran d’aller jusqu’au bout de la démarche, et d’embrasser pleinement ce nouveau style.

Sous prétexte qu’ils ressemblent visuellement à des rockeurs et qu’ils désignent désormais leur musique comme du rock, on devrait les croire. Mais comment croire des artistes qui continuent de rapper sur des beats quasiment similaires à leurs précédents? Les deux artistes n’ont jamais été consensuels, et les morceaux rock de Weezy sont 1000 fois plus classiques et banals que ses beats hip hop. Quant à Disiz, après avoir clamé haut et fort que Peter Punk avait enterré La Peste, il revient avec une pochette où Disiz est écrit deux fois plus gros que Peter Punk, rappe comme avant (voire moins bien) et passe à côté d’un énorme potentiel. « Dans le Ventre du Crocodile » aurait pu être un single efficace, mais il n’est qu’un vaste gâchis.

Tout était pourtant réuni mais à chaque fois, Peter Punk redouble d’effort pour brider sa créativité. Diesel lui file un beat ultra addictif et travaillé, Disiz en fait une chanson molle, lisse, où il ne pousse ni son interprétation ni ses textes, préférant rester dans le ventre mou du caïman. On lui tourne un clip au Reflex avec de jolies images, il le transforme en délire à peine moins ridicule que la prestation live de Diam’s au NRJ Music Awards (qui au passage a grillé le thème de Peter Pan, mais bon passons). Je me dis que si ça avait été Andre 3000 qui avait posé sur ce son, on aurait eu le nouveau single d’Outkast entre les oreilles.

Et le pire, c’est qu’on sait tous ce que ça va donner au final: des rappeurs qui se ramassent violemment, qui n’assument plus leurs albums et leurs envies, et qui tentent ensuite de revenir aux sources pour reconquérir à tout prix leur public. Et si vous ne me croyez pas, demandez à Kanye West ce qu’il en pense, lui qui vient tout juste d’annoncer que son « Good Ass Job » prévu pour cet été serait au retour au rap pur, produit par DJ Premier et Pete Rock.