J’ai fait un somme sur mes lauriers, et alors? Le jeu ne me dit plus rien, et je suis sur le point de raccrocher les gants. Même si je vais surement faire comme ces gens en bonne santé qui expliquent qu’ils préfèreraient être débranchés plutôt que de devenir un légume, et m’allonger sur mes grands discours pour mieux me raccrocher à chaque souffle de vie jusqu’à l’inspiration finale. Par manque de courage ou de lucidité. Ou des deux.
Le temps a le don d’émousser le flow le plus aiguisé, et lorsqu’une rime suffisait à découper un beat, il faut maintenant un couplet. Mais le temps n’est pas l’unique explication. Il ne justifie pas à lui seul le manque d’inspiration, les idées qui ne viennent plus, les thèmes déjà traités, le style poussif. Est ce le quotidien qui change? Il paraît que sur le plus haut trône du monde on est jamais assis que sur son boule. Un trône qui ressemble d’avantage à un siège éjectable qu’à un fauteuil enviable à mieux y regarder, et à mieux écouter la meute affamée dont la respiration se fait toujours plus proche. Parce que le challenger n’a qu’un but: réussir. Tout est mis en oeuvre pour servir son but, la concentration est optimale et l’envie plus forte que tout. Rien à perdre, tout à gagner.
Tandis que sur le toit du monde, il n’y a rien à gagner, et tout à perdre. Le confort étourdit et aliène, l’instinct se dilue dans l’immobilité. J’ai mis toute mon énergie à atteindre mon objectif, je ne jouerai pas tout sur un coup de poker où personne ne se serre les coudes lorsque la chance tourne. Et c’est bien là le problème. Je me contente d’être moyen, de me reposer sur mes acquis et de fournir les efforts minimum comme dirait les mauvais chroniqueurs. Les 5 étoiles des débuts qui soulignaient ma fougue et ma fraîcheur laissent la place aux 3 étoiles systématiques. Et être égal à soi même en fournissant un album convenable est la pire chose qu’il puisse arriver à un artiste. Etre médiocre ou génial. Réussir ou mourir, parce que le juste milieu n’est pas acceptable. Et ils le sentent bien ces vautours, qui s’amusent de moi dans leurs BD, à regretter l’époque où mon nom faisait trembler les ondes. Parce que maintenant, je suis juste un rappeur établi. Une tête d’affiche, un poid lourd. Le meilleur pour les plus indulgents, le spectre vieillissant d’un MC respecté pour les autres.
J’envie ceux qui ont su faire le bon choix. Parce que le courage me manque. Partir pour être regretté, claquer la porte avant la fausse note, terminer sur une victoire et rester à jamais l’homme d’un classique. Ne pas décevoir, ne pas user les concepts jusqu’à la moelle, ne pas laisser l’envie de prouver se cacher dans l’ombre de la complaisance. Ne pas donner le meilleur de moi même sans que cela ait de conséquences sur mon statut est la pire des malédictions. Habituer le public à ma lassitude parce qu’il est trop tard pour le virage radical, impardonnable, creuse ma tombe un peu plus chaque jour. La petite mort est plus facile à accepter.
Saleté de syndrome du premier album, dont je parlais avec ce journaliste dont j’ai oublié le nom mais pas l’admiration qu’il vouait à ce rappeur bestialement nonchalant. La chance de ne pas être attendu, la liberté de peaufiner chaque détail, le désir insatiable de bouffer les autres et de recracher leurs os. Ces autres qui passent du stade de concurrents à celui de has-been, eux aussi usés par ce jeu sans fin. Je n’ose même pas imaginer ce qu’il se dit sur nos échanges… Et lorsque la relève pousse de plus en plus violemment pour à son tour devenir l’homme à abattre, chaque conseil résonne à ses oreilles comme une leçon de morale. S’il savait que je ne cherche rien de plus qu’à retrouver la passion à travers lui, comprendrait-il mon attitude et cesserait-il de croire que je veux le freiner dans son ascension?
Mais en fin de compte, il y a peut être une solution. Ne plus réfléchir, ne plus chercher à séduire. Etre soi même, assumer ses faiblesses et ses doutes, les dévoiler au grand jour pour ne pas qu’ils nous rongent la nuit. Faire un album pour prendre ma retraite. Et s’il marche, je reviendrai. Parce qu’on revient toujours.
est ce que comme Ill de grosses sommes sous ton oreiller, des billets multicolores ?? (si c’est le cas du coup oué tu mérite ta pause)
STANDING OVATION moi je dis.
Nice edito.
Fan, as usual…